Il y a quelques mois, en plein milieu d’un cours, un élève m’a demandé : « Madame, franchement… pourquoi j’apprendrais ça alors que ChatGPT répond plus vite que moi ? »
J’ai souri (un peu jaune).
Parce que oui, on y est. L’IA n’est plus la petite cousine timide des films de science-fiction : elle est sur nos téléphones, dans les devoirs, dans les révisions, dans les conversations de parents inquiets à la sortie du lycée. Et depuis peu, elle se glisse dans l’école comme un élève de plus… mais un élève qui lève la main avant même que la question soit posée.
Un article vietnamien que j’ai lu récemment évoquait cette « tempête » que traverse l’éducation. Le style ne m’a pas forcément convaincue, mais j’y ai trouvé deux ou trois idées très justes : l’IA peut court-circuiter l’apprentissage, troubler notre capacité à réfléchir, détourner l’élève de son effort naturel… mais elle ouvre aussi des portes extraordinaires.
J’ai eu envie d’en parler ici, parce que tout cela nous concerne, nous, profs, parents, élèves, amoureux des maths (ou survivants forcés, selon les jours). On vit une époque étrange, où le cerveau humain se retrouve à cohabiter avec un partenaire brillant, puissant… mais un peu trop serviable.
Alors comment s’adapter ? Comment garder l’envie d’apprendre ? Et surtout : qu’est-ce que ça change, concrètement, pour les maths ?
Accroche-toi à ton compas, on explore tout ça ensemble.
L’IA, cette camarade de classe qui rend service… parfois trop
Soyons honnêtes : beaucoup d’élèves découvrent l’IA avec la même joie que moi quand j’ai découvert la calculatrice programmable en Première.
Une machine qui fait tout à ta place ? Où est le piège ? Le piège, c’est justement qu’elle fait tout trop bien.
L’article que je mentionnais plus haut évoquait un phénomène intéressant : lorsque l’IA devient une béquille permanente, le cerveau entre dans une forme de « décharge cognitive ». En gros, si tout est disponible immédiatement, pourquoi s’embêter à mémoriser ?
Pour réviser une leçon, comprendre une démonstration ou simplement retenir une formule, notre cerveau a besoin de travail. Pas d’un travail pénible, mais un travail qui l’oblige à manipuler, essayer, se tromper, recommencer.

L’IA, elle, nous offre la réponse avant même que la question ne s’installe. Et en maths, cette étape est vitale.
Je le vois tous les jours : l’élève qui tape l’exercice dans son application miracle obtient une solution impeccable, parfois même une jolie explication. Mais la minute d’après, si je lui donne l’exercice cousin, celui qui ressemble beaucoup mais pas tout à fait, il est bloqué. Pas faute d’intelligence : juste parce que le chemin n’a pas été parcouru.
L’IA, quand on l’utilise sans vigilance, vole à l’élève la partie la plus précieuse du raisonnement que j’appelle la « galère féconde« .
Oui, la galère féconde. Celle où on peste, où on rature, où on cherche un exemple qui marche. Ce moment où le cerveau, sans prévenir, connecte deux idées et avance d’un millimètre. Ça, aucune IA ne peut l’offrir à ta place.
Pourquoi les maths ont besoin de lenteur dans un monde de réponses instantanées ?
Les mathématiques ne sont pas une simple affaire de résultats. Elles sont un entraînement à la pensée. Un dojo mental, si tu veux.
L’IA est excellente pour répondre. Elle est moins douée pour te faire réfléchir. Le paradoxe, c’est que plus les outils sont performants, plus il devient essentiel de ralentir. L’intuition mathématique se construit par étapes : on observe, on manipule, on conjecture, on teste, on corrige, on avance.
Ce processus est fragile. Il demande du silence, du temps, un cerveau qui farfouille. L’IA, elle, court devant nous en criant : « J’ai trouvé ! ».
Si tu veux une image, c’est comme si on apprenait à faire du vélo… avec un scooter qui nous tire vers l’avant. Résultat : on va vite, très vite, mais on n’apprend pas à tenir l’équilibre.
Alors comment articuler les deux ? Comment garder l’équilibre à l’ère du scooter-IA ?
Je propose une règle simple, que j’utilise déjà avec mes élèves :
L’IA doit éclairer, pas remplacer.
Elle peut reformuler, expliquer autrement, proposer une piste, montrer une erreur. Mais elle ne doit pas faire le trajet à ta place.
La question à demander à un élève n’est pas : « L’IA te l’a expliqué ? », mais « As-tu compris pourquoi cette solution fonctionne ? Peux-tu la raconter ? La refaire sans aide ? » Et là… magie : les gestes cognitifs reviennent.
Entre profs, parents et IA : un nouveau contrat pédagogique
Une bonne partie du discours médiatique sur l’IA tourne autour de la peur : tricherie, perte de compétences, nivellement.
Oui, il y a un risque. Mais on peut aussi en faire un levier d’enseignement fabuleux. L’article vietnamien évoquait la nécessité d’une « pensée numérique » : la capacité de décider ce qu’on confie à l’IA et ce qu’on garde pour soi. C’est exactement l’enjeu.
Pour les parents, l’important n’est pas d’interdire l’IA, mais d’aider leur enfant à distinguer un outil d’un tuteur. L’IA est un outil. Le tuteur, c’est l’humain, c’est l’effort, c’est l’élève lui-même.
Pour les profs, on n’a plus le monopole du savoir… mais on garde celui de la manière d’apprendre. On devient guides, chefs d’orchestre, designers d’activité. Un jour, un élève m’a dit : « Madame, pourquoi vous me posez une question puisque vous connaissez la réponse ? » Parce que ma mission n’est pas de savoir. Ma mission est de lui permettre de savoir. Et dans cette mission, l’IA peut devenir un formidable allié, si on lui assigne la bonne place : à côté, pas devant.

Comment un élève peut utiliser l’IA pour mieux apprendre les maths (et pas pour tricher)
Ce que je propose à mes élèves, et que je te propose de tester si tu es parent ou prof, c’est une méthode simple de travail « IA-compatible ».
En quatre points :
- Chercher d’abord seul. Même cinq minutes. Même si ça bloque. Même si c’est frustrant. Cette première étape active les zones du raisonnement qui font vraiment progresser.
- Utiliser l’IA pour débloquer une idée, pas pour donner la solution. Par exemple : reformuler l’énoncé, identifier les notions utiles, rappeler une propriété, proposer une piste.
- Refermer l’IA et refaire l’exercice sans aide. Si ça ne marche pas, réouvrir, mais uniquement pour vérifier ou reformuler.
- Expliquer la solution à voix haute. À soi-même, à un parent, à un mur, peu importe. La verbalisation est une étape clé (et trop souvent oubliée).
Certaines IA éducatives sont en train d’intégrer ce principe : elles accompagnent le raisonnement au lieu de le remplacer. Et très honnêtement : c’est la seule voie durable.
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Nous vivons une révolution silencieuse mais immense. Une révolution qui bouscule notre manière d’enseigner, d’apprendre, de comprendre le monde. Pour la première fois dans l’histoire de l’école, les élèves ont un compagnon invisible capable de résoudre n’importe quel exercice… mais incapable de leur apprendre à penser.
Et c’est justement là que nous, les humains, retrouvons toute notre place.
Notre pensée, nos hésitations, nos essais, nos erreurs : voilà ce qui construit un esprit mathématique. L’IA peut nous aider, nous éclairer, nous soutenir — mais elle ne remplacera jamais ce cheminement intérieur.
Alors oui, la tempête arrive peut-être. Mais si on apprend à naviguer avec elle, on peut transformer la peur en force, la facilité en exigence, et les maths en un terrain d’aventure encore plus riche. Et entre nous : aucun algorithme ne rivalisera jamais avec l’étincelle dans le regard d’un élève qui vient de comprendre quelque chose tout seul. Celle-là, elle restera 100% humaine.

